Le soleil se lève sur la Réunion pour la nouvelle année 2009
BONNE ANNEE
HAPPY NEW YEAR
Lever de soleil sur la région Est, vu du Bois de Nèfles Sainte-Clotilde
Au bon temps de la Féodalité, les serfs venaient grouper leurs humbles cabanes à lombre du château qui dominait la colline ; de nos jours, le travail et lindustrie succédant au droit de la naissance, cest autour de lusine que se pressent les villages : louvrier se rapproche de la manufacture qui lui promet de lemploi, comme le vassal se rapprochait du donjon qui, en cas dattaque, lui faisait espérer une protection précieuse, quoique chèrement payée, il faut bien le dire.Cette loi universelle de notre époque est surtout sensible dans les Colonies, où le travailleur dépend plus étroitement de celui qui lemploie. Chaque établissement de sucrerie se divise, par suite, en trois parties distinctes : la maison du maître, ou Grande-Case, les bâtiments d’exploitation, enfin le Camp des engagés. Cest de cette dernière seulement que nous voulons nous occuper aujourdhui : pénétrons y donc, sans plus tarder, et nous trouverons probablement à faire quelques études intéressantes.Le Camp se compose le plus souvent dune large rue, des deux côtés de laquelle salignent à peu près régulièrement les cases construites en torchis ou même en paille, et recouverte de vétiver. Elles ont de trois à quatre mètres carrés ; cependant, il y en a toujours quelques une dune longueur triple ou quadruple, occupées en commun par plusieurs célibataires, race nombreuse dans les bandes dengagés, où les femmes ne sont guère admises que dans la proportion dun dixième.Si latelier est considérable, dautres rues transversales coupent la première et enfin on trouve en séloignant du centre quelques maisonnette isolées : ce sont le plus souvent celles des ménages créoles qui, pour se soustraire aux inconvénients de la communauté, se sont retirés sur les limites de lenceinte, position dont ils profitent pour cultiver un petit jardin et élever quelques animaux quils logent autour deux.Somme toute, le camp, sur une habitation bien tenue, noffre à la vue rien de désagréable ; des arbres, des bananiers touffus, souvent un ruisseau qui traverse, les tiges de différents légumes se suspendant aux perches des toitures, donnent à cette réunion de cabanes une apparence assez riante, et qui ne rappelle en rien laspect misérable de certains hameaux dans les campagnes de France.Le mobilier de chaque logement varie suivant lordre ou le goût de celui qui loccupe : les uns, regardant le luxe et le confort comme superflu, se contentent dune natte en paille, vulgairement nommée saisie, sur laquelle ils dorment à terre, et dune marmite unique, servant, à la fois, à cuire le riz et à le manger.Dautres ont un rudiment de ménage : un coffre, un cadre ([1]) garni dune paillasse, un tabouret en bois.Enfin, il y a des cases qui représentent un véritable petit appartement : le lit se cache derrière un rideau, la table a ses vases à fleurs et sa glace dorée ; une armoire, des chaises, quelques images encadrées, une batterie de cuisine suffisante, prouvent que les travailleurs auxquels elle est échue en partage, sentent le charme dun intérieur propre et coquet.Toute la journée, le camp est désert ou à peu près : partis de grand matin, les ouvriers ny font quune courte apparition vers le milieu du jour, pour prendre leur repas, et retournent aux champs.Mais vient un moment où le petit phalanstère revêt une toute autre physionomie.Le soir est arrivé : le soleil, tout à lheure encore, brillant dun vif éclat, sest précipité derrière les montagnes, et, presque sans transition, le jour fait place à lobscurité. Le travail cesse : les différentes bandes dengagés, sous la conduite de leurs commandeurs, abandonnent lhabitation et se dirige vers la cour.Ils envahissent le camp : en un moment tout sanime et se met en mouvement dans cette enceinte naguère inhabitée et dont le silence nétait interrompu que par la voix piaillarde de quelques Indiennes et les criailleries des enfants. La fourmillière a trouvé son peuple : chacun se démène ; il sagit de préparer le repas du soir : ici, on vanne le riz : plus loin, on le pile ; lun fend du bois, lautre allume le feu, et tous causent ou, pour mieux dire, crient à la fois. Impossible de saisir le moindre détail si nous nous laissons étourdir par ce brouhaha ; contentons-nous donc de suivre un des travailleurs pour examiner sa case, et étudier son genre de vie.Celui à qui nous faisons lhonneur de le choisir comme type est un noir créole, Pa-Germain ([2]), un des rares spécimens de lancien esclave resté fidèle au travail de la terre.Il se dirige vers un coin du camp tout contre la clôture, où il a cherché un refuge contre le tapage des Malabars et la musique trop sonore des Cafres. Son arrivée est signalée de loin, et avant quil touche à son logement, un vigoureux négrillon, dans le costume dAdam avant sa faute, se précipite entre ses jambes en trébuchant. Après une caresse à son héritier présomptif, le père rentre chez lui, et, ma foi ! je comprends le coup dil satisfait quil jette sur son étroit domaine. La chambre unique est séparée en deux par un rideau de rabanne ([3]), qui, relevé à moitié, laisse entrevoir un lit suffisamment garni et recouvert dun beau tapis semé de fleurs et doiseaux ; le sol est sec et bien balayé ; tout va bien et Pa-Germain aspire avec bonheur un parfum de chez soi, toujours agréable pour un propriétaire Tout à coup, une ombre vigoureuse se dessine dans lombre de la porte, et la maîtresse de la maison vient rejoindre son mari : cest une forte Cafrine, que le nourrisson, campé sur sa hanche, ne paraît pas fatiguer beaucoup. On se revoit avec plaisir, mais on ne sembrasse pas : ce nest point la coutume parmi nos travailleurs indigènes ou créoles ; leur tendresse est peu démonstrative, sans être pour cela moins sincère, jen suis persuadé ..Mais il ne sagit pas de samuser : le travail a creusé lestomac du père, une nourrice a bon appétit ; quant au négrillon, il a toujours faim ; vite donc à la cuisine !Trois ou quatre pierres plates forment un foyer devant la porte dela case. Pa-Germain, qui sest dépouillé dune partie de son costume, y place quelques menus morceaux de bois recueillis pendant le travail du jour, ou ramassés le long du chemin, en revenant de lhabitation ; une mèche, faite dun chiffon tordu et imprégné dhuile, reçoit le germe de lincendie, et voilà un feu qui pétille.Pendant ce temps, la mère ne reste pas les bras croisés ; lenfant qui dort est déposé sur le lit, et, notre ménagère, prenant sa vanne, nettoie le riz qui doit faire la base du repas.Une fois que la marmite est au feu, bien équilibrée sur ses trois touques ([4]), tout en racontant les évènements du jour, en causant de mille riens intéressants, on prépare les brèdes que le père a rapportées des champs, on fait le rougail ; et quand le dîner est en bonne voie, quil ne faut plus que de la patience, le repos succède à lactivité ; le papa tire sa vieille pipe, un de ces meubles précieux dont le poète Mauricien Castellan a dit dans ses Poésies créoles : Toute noire par la fumée,Sa pipe sans cesse allumée,Jetait une épaisse vapeur :Le temps lavait faite si bonne,Quil ne leût prêtée à personne,Pas même à son ami de cur ! Il la charge avec précaution dun tabac récolté et séché par lui-même, saccroupit commodément près du feu, et commence à lancer régulièrement sa fumée, grave occupation quil interrompt parfois pour surveiller la marmite, en séclairant dun tison enflammé.Le nourrisson sest éveillé, et la mère, assise sur un tabouret, la poitrine largement découverte, lui présente sa bouteille heureusement intarissable. Le gamin mollement assis sur une de ses jambes reployée, tient déjà son assiette en fer-blanc et souvre lappétit en croquant une canne.Voyez-les tous les quatre : ce sont certainement des gens heureux ; lambition ne les tourmente pas ; ils vivent contents de leur médiocrité. Le père na pas cru manquer à sa dignité de citoyen, en restant attaché au service de la terre ; il a continué de vivre libre sur lhabitation quil avait cultivée comme esclave. Son maître devenu son engagiste, lestime comme un bon sujet et le traite presque en ami : les Européens ladmettront difficilement ; mais, lui, il en est sûr et, comme preuve, il vous dira que Lisa, sa femme, qui lave pour Madame, reçoit chaque jour quelque cadeau, et que ses enfants sont gâtés dans la grande-case.Le soir, il trouve son riz tout prêt ; lhabitation fournit sans travail des brèdes de plusieurs sortes, pour compléter les vivres de sa ration ; il a quelques poules et même un cochon, dans un petit parc quil a construit un dimanche derrière sa maison. Il nen demande pas plus et, certes, je lapprouve de sa naïve résignation. Combien de journaliers en France sont moins heureux que lui !Pourvu que le fils soit aussi sage que le père ! mais hélas ! je crains bien que les choses ne se passent autrement.Le pauvre Pa-Germain a souvent compris combien il lui serait utile de savoir lire et écrire ; il voudra que son garçon aille à lécole, et il aura mille fois raison ; mais quand ce garçon sera devenu un savant, quil lira couramment sur la gazette, et fera de ces beaux paraphes en oiseaux que les Chers Frères affectionnent tant, le papa plein dadmiration pour son fils, osera-t-il lui proposer de prendre la pioche, ou même de travailler, à quelque titre que ce soit, sur lhabitation ?Jen doute, à vrai dire.Le jeune citoyen voudra être ouvrier, ce qui est fort louable, mais ouvrier à Saint-Denis, ce qui devient plus dangereux, car à la ville, il y a plus douvriers que douvrage, et les tentations sont bien grandes.Puis la plupart des professions exigent un long apprentissage auquel nos jeunes gens ne se soumettent pas volontiers ; en revanche, casser des pierres, gâcher du mortier, ou scier une planche sous la direction dun maître, sont choses assez faciles ; aussi se jette-t-on en foule dans cette voie commode, ce qui explique comment, sur environ 500 élèves sortant des écoles primaires, on trouve 50 charpentiers et 64 maçons ou tailleurs de pierre, chacun des autres métiers nemployant quun nombre insignifiant de bras. Pour les cultivateurs on en peut compter jusquà quatre !Heureux encore pourtant si notre jeune citoyen est réellement ouvrier ! mais il est bien dur de saccrocher les mains à scier des planches ou à remuer des pierres quand on a une si belle écriture ! Ne vaut-il pas mieux chercher une place ? Un garçon de bureau, cest presque un commis ; un garçon de recette, cest un négociant ! Et la paresse aidant, on laisse la truelle et la hache pour le balai, le plumeau et le portefeuille des comptes à recouvrer.Et quon ne nous accuse pas de proscrire linstruction, de parquer le citoyen de 1848 ou son fils dans les limites de la caste chinoise ; rien nest plus loin de notre pensée : nous voudrions voir tous les créoles sachant lire et écrire ; chacun y gagnerait : moralité et instruction vont toujours de pair.Ce que nous constatons avec regret, ce que nous voudrions voir cesser à lavenir cest ce préjugé stupide qui éloigne du travail agricole le fils de laffranchi : Esclave son père a cultivé le sol, donc la culture du sol est la marque de lesclavage. Cest une plaie réelle, un malheur aussi grand pour cette classe elle-même que pour la colonie toute entière. De là cette foule de jeunes gens, entre vingt et trente ans, qui vaguent par les rues de Saint-Denis sous le vain prétexte de mille professions, inutiles quand elles ne sont pas imaginaires.Temps et forces sociales perdus ! Puis, la part du danger ! On fait des connaissances, on veut être mis comme tout le monde ; il faut des vêtements de drap, des souliers vernis, toutes choses qui coûtent fort cher ; et alors . et alors ! .Il y a, certes, de nombreuses et honorables exceptions : nous connaissons dans la population créole de bons et laborieux ouvriers, dont linstruction a développé le cur et lesprit sans leur enlever le courage au travail ; mais, néanmoins, mon brave Pa-Germain, souhaite que tes fils restent sur lhabitation où tu as vieilli, et quils bornent leurs désirs comme tu as su borner les tiens !
P. de Monforand – Album de lile de la reunion
([1]) Cadre en bois à peine dégrossi porté sur des pieds courts et dont le fonds est formé de cordes entrecroisées.
([2]) Pa et Ma, abréviatifs de papa et maman, sont des titres honorifique accordés, aux noirs dun certain âge.
([3]) Etoffe tissée avec des écorces darbre : Madagascar en produit dassez fines pour être employées par la mode.
([4]) Touques Ce sont les pierres sur lesquelles on pose les pieds de la marmite pour lexhausser au dessus du feu.
Tous les ans, le 20 décembre, les membres de l’Association des Amis de Sarda GARRIGA, déposent une gerbe au pied de la stèle commémorant le débarquement du commissaire général de la République au Barachois.
pour en savoir plus :
http://www.zinfos974.com/L-histoire-de-Sarda-garriga_a2632.html
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.
20 DÉCEMBRE 1848.
AUX TRAVAILLEURS.
Mes amis,
Les décrets de la République française sont exécutés : Vous êtes libres. Tous égaux devant la loi, vous n’avez autour de vous que des frères.
La liberté, vous le savez, vous impose des obligations. Soyez dignes d’elle, en montrant à la France et au monde qu’elle est inséparable de l’ordre et du travail.
Jusqu’ici, mes amis, vous avez suivi mes conseils, je vous en remercie. Vous me prouverez que vous m’aimez en remplissant les devoirs que la Société impose aux hommes libres.
Ils seront doux et faciles pour vous. Rendre à Dieu ce qui lui appartient, travailler en bon ouvriers comme vos frères de France, pour élever vos familles ; voila ce que la République vous demande par ma voix.
Vous avez tous pris des engagements dans le travail : commencez-en dès aujourd’hui la loyale exécution.
Un homme libre n’a que sa parole, et les promesses reçues par les magistrats sont sacrées.
Vous avez vous-même librement choisi les propriétaires auxquels vous avez loué votre travail : vous devez donc vous rendre avec joie sur les habitations que vos bras sont destinés à féconder et où vous recevrez la juste rémunération de vos peines.
Je vous l’ai déjà dit, mes amis, la Colonie est pauvre : beaucoup de propriétaires ne pourront peut-être payer le salaire convenu qu’après la récolte. Vous attendrez ce moment avec patience. Vous prouverez ainsi que le sentiment de fraternité recommandé par la République à ses enfants, est dans vos curs.
Je vous ai trouvés bons et obéissants, je compte sur vous. J’espère donc que vous me donnerez peu d’occasion d’exercer ma sévérité ; car je la réserve aux méchants, aux paresseux, aux vagabonds et à ceux qui, après avoir entendu mes paroles, se laisseraient encore égarer par de mauvais conseils.
Mes amis travaillons tous ensemble à la prospérité de notre Colonie. Le travail de la terre n’est plus un signe de servitude depuis que vous êtes appelés à prendre votre part des biens qu’elle prodigue à ceux qui la cultivent.
Propriétaires et travailleurs ne feront plus désormais qu’une seule famille dont tous les membres doivent s’entraider. Tous libres, frères et égaux, leur union peut seule faire leur bonheur.
La République, mes amis, a voulu faire le vôtre en vous donnant la liberté.
Qu’elle puisse dire que vous avez compris sa généreuse pensée, en vous rendant dignes des bienfaits que la liberté procure.
Vous m’appelez votre père; et je vous aime comme mes enfants ; vous écouterez mes conseils : reconnaissance éternelle à la République française qui vous a fait libres ! et que votre devise soit toujours Dieu, la France et le Travail.
Vive la République !
Signé SARDA-GARRIGA