
Boutique chinois au Moufia
Le créole ne fera pas daccord en disant la boutique chinoise, mais dans son esprit, il sagit de la boutique tenue par un Chinois.Les boutiques sont installées dans toute lîle et font partie intégrante du paysage des villes et aussi des hauts. Elles étaient appelées en général du prénom du boutiquier : « chez Marcel », « chez Georges », chez Jean »
La devanture de la façade était décorée de morceaux de tôles clouées, sur lesquelles il y avait des publicités pour tels produits ou tels autres. Parfois, les autres publicités sur papier, mettaient un peu de couleur à cette construction banale, il faut le dire. Les boutiques des premiers étaient bien modestes avec des portes qui se fermaient avec un système de levier à bascule. Larchitecture des boutiques de ces migrants chinois était reconnaissable aussi bien extérieurement, quintérieurement avec la disposition des comptoirs dedans.
Jouxtée à cette construction, était la buvette qui rassemblait de nombreuses personnes autour dun ou deux « ptits verres ».
Beaucoup de boutiques étaient construites sur un socle en pierres taillées enduites de ciment et sur lequel était placé le plancher. Ce vide sous ces planches permettait une meilleure circulation de lair, donc moins dhumidité dans la boutique. Les côtés sont en planches recouvertes de tôles (pour que le bois soit moins humide), mais aussi à cause des rats et souris qui dévasteraient davantage les denrées stockées à lintérieur. Ces boutiques en général se dressaient à un angle de rue avec son toit de tôle ondulée à quatre pentes et un auvent. Ce dernier courait sur toute la longueur du bâtiment, protégeant avantageusement portes et passants du soleil et des intempéries. Sous cet auvent on pouvait voir se dresser parfois, un petit perron en béton permettant les compagnons de beuveries de sy asseoir et discuter en dehors de la buvette. Traditionnellement la boutique est un lieu de convivialité où les hommes du village aiment se rencontrer.
Lintérieur cétait une vraie caverne dAli Baba, car ce sont de petits commerces de proximité qui proposent toutes sortes de denrées alimentaires et darticles de première nécessité.
Laménagement de lintérieur des boutiques était pratiquement le même partout. Souvent à la porte, recouverte aussi de tôle, se dressaient, alignés, des « gonis » débordant de riz en vrac, de maïs en grains, de tourteau, de café, de sucre, de haricots en tous genre, Un peu plus au fond et à gauche, était dressée une vitrine. Celle-ci, de fabrication artisanale et réalisée en bois de tamarin, constituait un élément indispensable au mobilier du commerce. Le boutiquier se tenait derrière ce comptoir-vitrine. Une porte intérieure, menait à larrière du magasin. Cette partie ajoutait aux clients un mythe de lOrient aux obscurités de cette arrière-boutique. Quand on demandait au chinois une chose rare, il disparaissait dans le « fénoir » de cette pièce et revenait longtemps après, avec la marchandise demandée ou autre chose déquivalent. Il déballait lentement cette marchandise de son papier journal tout auréolé dodeur dépices, dalcool à brûler et de poussière.
Sur la partie droite du magasin se dressait une autre vitrine. Sur une poutre derrière le boutiquier, à un crochet, pendaient des « cornets chinois » jaunis dans lesquels on emballait les marchandises (pas de sachets plastiques !). Ces cornets étaient fabriqués par le chinois lui-même, doù lappellation « cornet chinois ».
Sur la vitrine de gauche trônaient de grands bocaux contenant des bonbons à la menthe, aux fruits, des berlingots des sucres dorge et autres
Et tout près de ces bocaux, était placé un boulier chinois, (pas de caisse enregistreuse, ni de calculatrice). Parfois, certains boutiquiers ne sachant pas manier le boulier (il est vrai difficile à sy faire) posaient lopération sur un papier journal remplis de chiffres, ou bien sur le cornet.
La partie supérieure de cette vitrine contenait les pâtisseries, des biscuits, les macatias de lépoque, et que les enfants ne quittaient pas des yeux. La partie inférieure contenait quant à elle des objets religieux, des outils, et autres. Toutes les marchandises se côtoyaient dans un espace réduit. Des chapeaux de feutre étaient suspendus çà et là pour les messieurs.
Ce commerce était une entreprise familiale tenue par le chinois, son épouse, et aussi les enfants. Lépouse soccupait surtout de la vente des articles de la partie droite du magasin, soit, la toile, chaussures, boutons, galons, fil, livres parfums
Dans cette partie du commerce se tenait derrière son comptoir, la boutiquière, et derrière lautre vitrine où des pâtisseries étaient exposées, le chinois se tenait devant tout un mur rempli détagères sur lesquelles salignaient les bouteilles dalcool, de liqueurs, deau, de sirop aux étiquettes colorées. Les étagères inférieures contenaient des boîtes de conserves, allumettes, bougies, lampe à pétrole, eau de Cologne, Tout ces articles placés côte à côte, avaient leur place sur cette étagère. Des outils, des sabres, de la corde, des sacs de clous, des vis, formaient un coin bricolage. Une autre vitrine abritait les saucisses, le boucané et autres
Sur un côté, se tenait un réfrigérateur vitré (quand on eut lélectricité !) dont le contenu faisait envie à tous les enfants et aussi aux grands. Ce qui intéressait encore plus les enfants, cétait bien sûr dans la chambre froide, les sorbets avec leurs bois empilés, aromatisés à la vanille, au chocolat, à la grenadine, au coco
que ces petits dégustaient.
Une place spéciale était faite pour la balance Roberval et ses poids. Cest aussi à cette boutique que les enfants achetaient les plus gros pétards, et les plus beaux feux dartifice pour les fêtes de Noël. Ces objets à allumer sont indissociables aux fêtes de fin dannée.
Ce qui faisait marcher ce commerce auprès de la population pauvre de lîle, cest bien cette pratique des crédits (basée uniquement sur la confiance), sans intérêt appelé « carnets ». Le commerçant notait sur ces carnets tous les achats non payés de chaque personne vivant avec un crédit. Celui-ci était tenu en double exemplaires, et en fin de mois, quand le salaire tombait, le client venait régler le chinois, et cétait reparti pour un autre mois
Ainsi allait la vie.
Dans certaines boutiques,des denrées de base étaient stockées dans des bacs en bois (casier) dans lesquels les chinois plongeaient dune main preste, une mesure en fer-blanc ou une sorte de petite pelle arrondie fabriquée localement. Ces caissons étaient surtout réservés aux grains, au café au maïs, au sucre. Dans ces denrées, le maïs était largement vendu, de la farine jusquaux grains, en passant par le fabuleux « maïs sosso ».
Pas trop loin de ces bacs, des billots servaient au découpage de la viande, de la morue séchée, dont lodeur empestait toute la boutique. Il faut reconnaître que cette « boutique chinois » était un capharnaüm dobjets rangés ou suspendus puisque le magasin constituait la boutique dalimentation où se dressaient des remparts de conserves, des murailles détoffes et de mousseline, des cartons de bouteilles ; on y trouvait un coin (pour ne pas dire rayon) bricolage, toiles, mercerie, librairie etc
La boutique chinois, avec ses diverses marchandises, sa buvette pour le « ptit coup dsec » mettait sa grosse balance à la disposition des planteurs pour peser leurs productions de maïs, de manioc, ou dhuiles essentielles (qui sans doute se vendait au kilo !!). Là, séchangeaient les marchandises mais aussi les nouvelles du quartier. La boutique faisait aussi office de banque avec crédit sur carnet ou avances sur récoltes (le plus souvent sur les huiles essentielles dans les hauts).
Parfois ces chinois avaient plus dun tour dans leur sac, car au retour dun enterrement dans le quartier, certains offraient un « ptit coup dsec » aux parents et amis du défunt. Ce geste touchait bien sûr la clientèle.
Plus tard ces chinois enrichis, leurs enfants bénéficieront dun certain capital, et cest ainsi quils souvriront une quincaillerie, ou une superette par exemple, mieux organisée que la boutique de leurs parents.
Le chinois est toujours en activité, mais le créole dira quand il verra un autre créole sennuyer, et revenir, et encore et encore, on lui dira quil est comme « un chinois sans boutique ». Cela veut bien dire que le chinois est indissociable à sa boutique, sans celle-ci, il est perdu.
Chantal
Sources :
Patrimoine
Encyclopédie de la Réunion
Agenda de la Réunion
Le piment des mots créoles