La léproserie en 1965
La création de ce centre remonte vers 1850. Le gouverneur Doret, ému par des malades mutilés par la lèpre se répandant dans le chef lieu, désigna par arrêté du 25 février 1852, lancien lazaret de la Ravine à Jacques comme lieu pour ces gens malades.. Ce gouverneur mit toute sa vigilance et toute son efficacité à faire dispenser des soins médicaux à ces gens contaminés. Mais il saffaira aussi à pourvoir à leur entretien.
En 1854, les malades furent installés à Saint Bernard dans un val de la montagne, avec un très bon climat. Mais un feu dans des herbes allumé par un lépreux, se transforma en incendie et brûla tout le bâtiment. Les malades ont du regagner le lazaret.
Le gouverneur Hubert ordonna la reconstruction de létablissement et en fin 1855 les lépreux réintégraient Saint-Bernard, date qui coïncidait avec larrivée du Père Raimbault dans lîle. Ce dernier est resté pour tous les créoles, le curé des lépreux.
Tombeau du Père RAIMBAULT
A peine, Mgr de Beaumont eut-il appris que le Père Raimbault était disponible, il lui offrit une place dans son diocèse, soit pour les OAA (uvre du Père Brottier), soit pour lenfance coupable ou ailleurs mais lévêque avait en vue, un bon ministère pour ce prêtre entrepreneur, car il avait déjà fait sa renommée à Nosy Be, à Madagascar. En plus de curé, il était aussi agronome, et utilisait très souvent les plantes de lîle quil avait déjà étudiées pour certaines, dans la Grande Ile. Il fut aussi bâtisseur. Il avait construit écoles, orphelinats, maison de retraite, dispensaires, sanatorium etc à Madagascar. Un curé comme celui-là néchappa pas à Mgr de Beaumont. Entre temps, lévêque ne vit point ses projets se concrétiser, car il décèdera. Mgr de Langavant son successeur donna au Père Raimbault le choix de sa paroisse. Et humble comme il létait, le curé choisit la paroisse la plus déshéritée, et cela sans hésitation : Saint-Bernard. Au sein de cette paroisse, il allait retrouver les lépreux et pouvait continuer ses recherches en botanique et en minéralogie. Il se consacrait entièrement à ses plantes et aux lépreux.
Père RAIMBAULT
Reçu par le roi Léopold de Belgique, il fut aussi décoré par la Société Nationale dAcclimatation.
De violents cyclones ont détruit les bâtiments. Ces ouragans lont aussi drôlement secoué, car un vent le transporta du salon jusquau jardin où il se réveilla. Il avait perdu connaissance. Puis en 1948, lors dun autre cyclone, il sort dehors et une fois de plus, le vent sest saisi de lui. Après ces événements, il avait besoin de repos en Métropole, mais sa seule préoccupation : qui soccupera de ses lépreux ? Il meurt épuisé le 12/11/1949. Il repose dans un monument à Saint-Bernard parmi les siens.
La léproserie de nos jours
La lèpre en elle-même
Elle remonte à la nuit des temps. Jadis, la personne ayant la lèpre se savait condamner à vivre un isolement, soit dans une grotte ou un vieux tombeau. Considéré comme impur, il souillerait tout ce quil toucherait. Il ne devait laisser personne lapprocher. La terrible règle dexclusion lobligeait à crier « Impur » ! à tous ceux quil rencontrerait. Il voyait ainsi les gens se détourner de lui. Cest ainsi quen Judée, cinq siècles avant J.C. on traitait les lépreux. Leur maladie inspirait une terreur. Son évolution saccompagnait de boursouflures, dulcères, de mutilations. Les cas de guérison étaient inexistants. On savait la lèpre contagieuse. Le seul moyen déviter la contamination était lexclusion du malade.
Certains pensent que la lèpre était originaire de lInde, où des écrits signalaient son existence 1000 ans avant J.C.
Etant donné les migrations de peuples ou de guerres, elle sétendit vers lest, gagna lAsie du sud est,
Les Grecs et les Romains véhiculèrent la maladie dans tout le sud de lEurope et elle se serait infiltrée par la vallée du Nil en Afrique du nord.
Chaque invasion ouvrait des portes à la maladie. Une recrudescence du mal se produisit avec les Croisades.
Cimetière des lépreux – Saint Bernard
Les morts vivants
Le Moyen Age chrétien nétait pas mieux armé contre ce fléau que les temps précédents. On ne disposait daucun remède actif, et ignorait très souvent les modes de contamination, la durée dincubation etc
Lorsquun malheureux, souvent à la suite dune dénonciation, était suspecté de lèpre, il était examiné par des experts religieux ou médecins. Ceux-ci recherchaient les symptômes caractéristiques. Sils les découvraient, le « ladre » était conduit à léglise où on lentendait sous un drap noir, comme un défunt. Sous ce drap, il assistait à la messe, puis le prêtre lui faisait tomber sur la tête, une pelletée de terre de cimetière en lui disant : « Mon ami, cest signe que tu es mort pour le monde mais tu es vivant pour Dieu ». Là, on lisait à cette personne quon allait bannir de la société, une « longue liste de défenses », dont celles dentrer dans un lieu public, de se laver les mains ou de boire directement dans une fontaine.
Jadis, les lépreux étaient reconnaissables grâce à un costume spécial et une cliquette en bois quils agitaient pour signaler leur approche. Ils vivaient dans des cabanes hors des agglomérations avant les constructions des léproseries. Des âmes charitables venaient les soigner tel François dAssise.
LAmérique avec la traite des Noirs na pas été non plus épargnée.
De nos jours, la lèpre a disparu dEurope, sauf quelques cas isolés. Mais il reste encore des millions de lépreux dans le Monde.
Tombe de lépreux – Saint Bernard
Un poète lépreux : Eugène DAYOT (1810-1852)
Un grand poète réunionnais, Eugène Dayot fut lépreux.
Il nous laissa un poème célèbre : « le mutilé » écrit le 15 mai 1840.
Vingt ans et mutilé !…Voilà quelle est ma part ;
Vingt ans cest lâge où Dieu nous fait un cur de flamme,
Cest lâge où notre ciel sembellit dun regard,
Lâge où mourir nest rien pour un baiser de femme.
Et le sort ma tout pris ! tout excepté mon cur !
Mon cur à quoi sert-il ? Ironique faveur !
Cest le feu qui révèle au nautonnier qui sombre
Le gouffre inévitable au sein de la nuit sombre ;
Cest la froide raison rendue à linsensé :
Heureux sil neût jamais pensé !
Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et mon cur souffre moins lorsque je dis : ma mère.
A ce large festin des élus dici-bas
Qui me dira pourquoi je ne suis quun Lazare ?
La vie est une fête où je ne massieds pas ;
Et pourtant jai rêvé sa joyeuse fanfare !
La douleur ma fait boire à sa coupe de fer ;
Jeune vieillard, jai bu tout ce quelle a damer.
O vous qui demandez si lâme est immortelle,
Et ma part de bonheur dites !…où donc est-elle ?
Quoi ! Dieu nous mentirait, quand sa sainte équité
Nous promet limmortalité !
Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et je ne puis douter, lorsque je dis : ma mère !
Toute existence ici séchange par moitié,
Chaque âme peut trouver cette âme de son rêve,
Moi, quand je crie : Amour, lécho répond : Pitié !…
Et ce mot dans mon cur senfonce comme un glaive,
Quelle bouche de femme éteindra dans mon sein
Cette soif dêtre aimé qui me brûle sans fin ?
Vivre seul dans la vie Oh ! ce penser me tue !
Il vibre comme un glas dans mon âme abattue.
Vivre seul, quand mon cur est si riche damour !
Cest à ne plus aimer le jour !
Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et je veux vivre encor lorsque je dis : ma mère !
Souvent le front ridé de mes sombres ennuis,
Jai voulu, dans la foule, être oublieux et vivre ;
Jai voulu respirer au sein des folles nuits,
Ces voluptés du bal dont le prestige enivre,
Imprudent que jétais !…Jai maudit mes désirs,
Jai maudit les heureux, jai maudit leurs plaisirs !
Car je voyais glisser, dans leur valse en délire,
Ces vierges que le ciel enfanta dun sourire ;
Je les voyais et nulle en passant près de moi,
Ne disait dun regard : à toi !
Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et je ne maudis plus, lorsque je dis : ma mère !
Oh ! vous ne savez pas, vous qui vivez heureux,
Ce quun long désespoir peut jeter dans la vie !
Vous navez point senti ce moxa douloureux
Qui torture le cur et quon nomme lenvie !
Quand un rêve damour vous suit au bal bruyant,
LEspérance du moins sy montre en souriant,
Mais moi, lorsque le bal a fini ses quadrilles,
Ai-je une fiancée entre ces jeunes filles,
A qui je puisse dire en lui serrant la main :
Dieu ma fait un bien doux destin !
Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et puis-je être envieux lorsque je dis : Ma mère !
Ah ! lorsque vers la tombe inclinera mon front,
Je naurai pas une âme à qui léguer mon âme ;
Arrivé seul au port où mattend labandon,
Sans sourire, sans pleurs, je quitterai la rame,
Aucun enfant au seuil de mes jours éternels
Ne viendra recevoir mes adieux paternels !
Autour de mon chevet, à lheure dagonie,
Mes regards vainement chercheront une amie !
Et moi sur ce globe où je vins pour souffrir
Plus rien pas même un souvenir !
Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et si tu me survis, tu pleureras, ma mère !
Chantal
Sources :
Père Raimbault
Guide Historique
Dictionnaire biographique
Histoire de Saint Denis
Du battant des lames
Veillées
Les poètes de lîle Bourbon
Super intéressant ! Régine et Chantal, merci pour vos recherches et compte rendu agrémenté de photos. Quel triste sort que celui des malheureux lépreux !
Comment une maladie si vieille n’a pas encore disparue ?
Quel courage et quelle bonne âme que le père Raimbault qui passa sa vie à se dévouer aux lépreux !
Le poème d’Eugène Dayot cruellement frappé par cette maladie nous donne toute la dimension du misérable désespoir dans lequel il se trouve.
Comme cela doit etre atroce de se découvrir avec la maladie ! Tout doit s’effondrer autour de soi ! Quelle force pour continuer à vivre et pour s’écarter de la société ! Terrible de devoir s’en exclure et encore plus terrible cette obligation de crier « Impur » !
La lèpre a disparu d’Europe au Moyen-Age grâce à la généralisation du carrelage en céramique ; en effet le bacille de Hansen survit indéfiniment dans la terre battue du sol des maisons et est contaminé par le ladre ; les autres occupants du lieu se contaminent pieds nus . Tous les anciens lépreux réunionnais que j’ai vus vivaient dans de telles cases dans leur enfance . Moralité : Nécessité du carrelage ou d’un sol en ciment dans toutes les maisons du tiers-monde ++++++
Comme cette page sur la lépre et sa léproserie est triste mais comme ce poéme de Dayot « Vingt ans et mutilé » » nous raméne a cette triste réalité, que fut la vie et mort de ce Mr Dayot..J ai un grand oncle Alcide Desmarais qui lui aussi est mort a l age de 23 ans de cette maladie aux seychelles en 1858, , et qui a laissé également un petit livret de poémes dédié a plusieurs personnes dont/////
Une demoiselle Constance a qui il dédie un acrostiche a son nom, puis a Mr Edouard Doyen, au vénérable Abbé Mazuy, a Lisis Dupuy & a Mr Snelling….
Voila ce qui reste de ces personnes mortes si jeunes…
Cordialement Lorraine