La ravine « PATENT SLIP »


Ces pages sont dédiées à Monsieur Shaun Mitchell
+ en juin 2009, Coorparoo, Australie

LA RAVINE « PATENT SLIP »

Au Cap la Houssaye à Saint Paul

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Photo Henri Maurel

 

L’origine du nom de cette ravine située à l’Ouest de la ville de Saint Paul, très exactement au Cap la Houssaye, découle d’une aventure menée par deux Hommes dans les années 1848.

L’un, François Fortuné Crémasy, né à La Ciotat (Bouches-du-Rhône) le 10 Octobre 1793, habitait La Réunion, depuis que ses parents, Jean François Crémasy et Félicité Martin, également originaires de La Ciotat, avaient décidé de s’établir dans cette colonie. (1)

Comme l’indique l’acte de son mariage avec Mademoiselle Anaïs Fouchon, le 31 juillet 1831 à St André, il était veuf de Dame Josèphe Elisabeth Moreau, et avait qualité d’entrepreneur de Marine à St Denis. (2)

L’autre, Raymond Hodoul, était un enfant des Seychelles, marin autodidacte et entrepreneur dans la réparation navale. Son père, Jean François Hodoul était originaire comme les Crémasy, de La Ciotat. Capitaine de Corsaires dans les années 1794-1800 en Océan Indien, il s’était établi depuis lors à Mahé, l’île principale de l’archipel des Seychelles. Sa mère était Dame Marie Corantine Olivette Jorre de Saint Jorre, née à Flacq, quartier de la côte Est de l’isle de France, dont l’ascendance nous amène jusqu’à Françoise Rosaire, l’une des Grands-Mères de nombreux habitants de l’île Bourbon.

Félicité Martin, la Mère de François Fortuné Crémasy et Jean François Hodoul, le Père de Raymond, sont nés à La Ciotat à la même époque (1763), ce qui nous amène à dire que des liens persistants liaient les Crémasy et les Hodoul, établis cependant dans deux îles différentes de l’Océan Indien. (4)

Raymond Hodoul est né à Mahé, Seychelles le 20.06.1799 (5), il eut une enfance heureuse, et orientée essentiellement vers la mer. Il fit ses études primaires à l’Ile Maurice, encore Isle de France, jusqu’en 1810. Les Seychelles ne possédant pas d’école à cette date, ce furent ses parents qui lui donnèrent quelque instruction. De nombreux voyages à travers l’Océan Indien, sur les navires que commandait son père, l’ancien Corsaire, lui donnèrent la possibilité d’apprendre sur le tas le dur métier de marin.

 

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Dessin de Bill Sellers, Australie

 

Il n’avait pas vingt ans lorsque son père, alors devenu armateur, lui confia le commandement d’une Goélette à trois mâts jaugeant 200 tonnes, le « Six Soeurs ». Il fit sur ce petit navire trois croisières heureuses avant un nouveau voyage de Mahé à Maurice qui débuta le 28 Juillet 1819. Le « Six Soeurs » partit de Mahé avec des passagers. Le fret était composé pour une grande partie de balles de coton.

Au 5ème jour de navigation, le 1er Août 1819, un terrible incendie se déclara à bord, parmi les balles de coton, et malgré les mesures urgentes prises pour circonscrire le feu, celui-ci se propagea comme l’éclair à la voilure et à tout le navire. Les rescapés au nombre de 38 dont Raymond Hodoul, Jacques Moreau le second, et François Moreau le pilotin, les passagers, leurs domestiques, quelques marins, s’entassèrent sur la seule chaloupe embarquée à bord du « Six Soeurs ». Le navire brûla et sombra donc ce 1er Août 1819. Sa dernière position le plaçait par 2°18′ de latitude Sud et 61° de Longitude Est, selon le méridien de Paris, soit à « Cent quatre vingt lieues de la plus proche terre qui était l’île de Frégate, l’une des Séchelles « .

L’embarcation mesurait 22 pieds de long, et 6 pieds de large. Quelques provisions, et quelques litres d’eau furent distribuées avec parcimonie pendant le terrible périple qui dura dix jours, durant lesquels, ramant, dérivant, et navigant avec une voile de fortune par une mer souvent assez forte pour les submerger mille fois. Ils avaient comme seul instrument de navigation, un antique sextant, ne leur donnant la possibilité d’évaluer que leur latitude. (Un chronomètre précis manquait pour évaluer la Longitude).

Raymond Hodoul quoique jeune, était bon marin. Il ne se trompa que de quelques miles nautiques, car ce fut l’île La Digue qu’ils aperçurent en premier. Quelques passagers et marins périrent des suites de leurs souffrances, et vinrent grossir le nombres des victimes mortes lors de l’incendie du « Six Soeurs », et durant le terrible voyage de l’esquif (4).

Jacques Moreau retourna à la Réunion mais ne reprit jamais plus la mer. Au recensement de 1840, il déclara la profession de cultivateur (2). Son Frère François, le pilotin, fit une carrière maritime. Quant à Raymond Hodoul, ce jeune capitaine de vingt ans, il effectua de très nombreux voyages à Maurice, aux Indes, en Arabie, à Madagascar, construisant et commandant ses propres navires. Il s’adonna aussi à la réparation navale aux Seychelles, où il répara plus de trente deux navires de tout tonnage, sur un îlot dans le port de Victoria à Mahé, associé avec son père. Cet îlot porte encore de nos jours le nom de « Ile Hodoul » (3).

En 1838, Raymond vendit tous ses biens et s’installa à Maurice, où il devint entrepreneur de réparation navale.

Il fut alors sollicité par François Fortuné Crémasy habitant de l’Ile Bourbon, et Monsieur Barbaroux, « alors ordonnateur dans cette île… », pour l’étude de la construction d’un « slip ou cale de halage » (sic) à la Réunion, île dont on sait qu’elle ne possédait, à l’époque, que des rades foraines ne permettant pas la réparation de navires de gros tonnage.

Raymond Hodoul mit « le pied à terre à St Paul le 2 mai 1848 à 9 heures du Matin ». Il trouva cette ville, qu’il n’avait vu qu’une fois, « agrandie et plus propre ». Aussitôt après il partit pour la Possession en diligence, admirant  » la beauté de la route de macadam fait (sic) avec des galets écrasés, et plus dur que celui dont on se sert à Maurice ».

Arrivé à la Possession, il trouva  » le mouillage assez gentil », et « fit marché avec un patron de péniche » pour le conduire à St Denis. Ils partirent à 6 heures du soir. Hodoul précise : « La mer est grosse, il vente grand frais et nous arrivâmes au barachois qu’à 9 heures du soir, le bateau n’y pouvant y entrer. »

A St Denis, il se fit conduire chez « Monsieur Crémasy, Aîné », qui le reçut en ami. Le lendemain il eut le plaisir de serrer la main de son second et de son pilotin des « Six Soeurs » qu’il n’avait « pas revu depuis l’incendie de ce navire ».

Dans ses mémoires, Raymond Hodoul parle de Jacques Moreau, son second à bord de la Goélette Les « Six Soeurs »:  » … Il mourut trente et quelques années après notre naufrage, et je tiens de personnes qui étaient présentes à ses derniers moments, qu’il a parlé des Six Soeurs dans son délire ».

François Fortuné Crémasy présenta à son hôte, Monsieur de Bentonnay (sic) et  » à plusieurs autres négociants, dont « Malavois, Piveteau, Silac, Lebon, Pandellet, Lesport, plusieurs personnes de ma connaissance ».

Raymond Hodoul demeura quelques jours à St Denis, qu’il consacra à la visite de cette ville. Il s’émerveilla de la ville en ces termes :

« Je visite la ville, l’Hôtel du Gouvernement est très bien, l’Eglise est très belle, l’artillerie est superbe, l’une de ses portes est un modèle d’architecture. Le jardin du Roi est bien entretenu. Dans le centre se trouve le Palais législatif dont l’intérieur est très convenablement distribué. Le barachois est un travail gigantesque, bâti solidement sur des fondations mouvantes. Le collège est beau, la salle de spectacle est mauvaise. On construit en ce moment un bel hôpital.

Rendu à la gendarmerie, je ne fais qu’admirer d’avantage entier(?) la beauté des hommes, leur tenue, la propreté qui règne, et les chevaux. C’est admirable en tout.

Le 7, de grand matin, je visite les casernes qui sont hors la ville. C’est très beau. Elles ne sont cependant pas encore achevées. La redoute est à voir. Mais en revenant en ville, je visite l’abattoir qui est une installation d’une propreté qui ne laisse rien à désirer.

Dans l’après midi, je vais voir le palais de justice. C’est un beau monument dont l’aspect est imposant. La cour est remplie d’arbres majestueux sous lesquels on voit circuler les juges, les avocats etc etc ».

Le 8 Mai 1848, Raymond Hodoul et François Fortuné Crémasy quittèrent St Denis, pour entreprendre l’étude de l’implantation de leur projet, en faisant le tour de l’île par le Sud. Ils auraient été plus inspirés de la parcourir par le Nord, et auraient alors gagné du temps. Les deux compagnons voulaient-ils entrevoir cependant toutes les possibilités qu’offraient les côtes inhospitalières?

Nous les suivons à Ste Marie, qu’ils visitèrent « à la hâte », à Ste Suzanne où ils restèrent jusqu’au 10. Puis ils se rendirent à St Benoît, « passant la rivière …… sur un très beau pont sans pied » et ne passèrent qu’une nuit à l’Hôtel.

Ils partirent le lendemain pour Ste Rose, « ayant passé la Rivière de l’Est sur un très beau pont en fer. Les routes sont belles et les sites qui s’offrent à chaque instant à la vue, sont admirables. »

Hodoul passa trois jours à Ste Rose « en grand travail », et examina « la nature du sol, le littoral, la profondeur de la mer, la qualité du fond », il crut un instant l’endroit sûr « pour établir un Patent Slip (sic), en creusant dans le roc, ou même un port de refuge pour petits navires « , mais arriva ensuite à la conclusion, « … que la rade est très peu spacieuse, de mauvaise tenue, et entièrement ouverte aux vents, qui y soufflent souvent avec violence, ce qui la rend dangereuse ».

St Philippe et St Joseph ne reçurent qu’une visite rapide. A St Pierre, ils consacrèrent quelques jours : « … employés à l’étude des lieux. Là le travail paraît immense, d’une dépense énorme, et d’une réussite incertaine eu égard à la force d’une mer sans cesse déchirée de la Pointe du S.E., et en présence d’une rade pour ainsi dire intenable ».

St Leu et St Gilles ne « présentent pas plus de chance de succès », mais  » au Cap La Houssaye, la perspective change… »

 

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Photo Henri Maurel

Hodoul et Crémasy firent toutes les études préalables, et lorsqu’ils virent qu’elles  » …ne peuvent laisser un seul doute du succès de l’entreprise »,ils entreprirent les démarches nécessaires auprès du Gouvernement local d’abord, puis nantis des pièces approbatives et des rapports des diverses commissions, ils s’adressèrent au gouvernement de la Métropole.

Les arguments de Hodoul et Crémasy d’ériger un slip, ou cale de halage, à cet endroit, s’appuyèrent sur le manque de moyens portuaires dans l’île pour la réparation des navires endommagés. Ceux-ci étaient alors dans l’obligation de faire relâche au Port Louis, dans l’île soeur. Ils précisèrent :

 » Quel plus beau établissement de travail peut-on créer ici, autre qu’un chantier de marine qui emploierait continuellement 200 ouvriers, qui procurerait un débouché aux bois de construction du pays, ainsi qu’aux articles d’approvisionnement et de ravitaillement de navires, qui retiendrait dans la colonie ce que nos navires vont verser à Maurice depuis 1815 et cela sans compter les dépenses qu’y font les passagers et les gens de l’équipage de ces mêmes navires pendant le temps des réparations…

Les compagnies d’assurances ne sont pas moins intéressées à ce que les avaries, dont elles répondent, puissent être réparées en terre Française, à des prix raisonnables, et sans avoir à verser ces frais exorbitants de régularisation exigés à Maurice.

Et puis ces fournitures de braie, de filerie, de toile à voile, de fer, cuivre, goudrons, peintures, et mille autres articles faites à ces navires par le commerce Anglais, seraient faites par le nôtre…, et seraient réparties dans le pays entre les ouvriers, marchands, fournisseurs, faiseurs de bois de construction, entrepreneurs etc…

La métropole y trouverait aussi son compte, elle déboucherait sur ce point une partie de ses produits, nos bâtiments qui souvent arrivent sans fret en auraient désormais.

Cette nouvelle industrie pour le pays en ferait naître d’autres qui s’y rattachent naturellement; telles que les fonderies, les voileries, les corderies, etc. Ces établissements secondaires en emploieraient encore bien des bras.

La colonie étendrait ses relations au dehors ; car les bâtiments étrangers qui se trouveraient en dommage et qui seraient en même d’attraper l’île de la Réunion, sachant pouvoir s’y faire réparer, ne prolongeraient pas de plusieurs jours une navigation périlleuse pour aller ailleurs.

Le grand retard qu’éprouveraient nos navires dans leurs opérations quand il faut qu’ils aillent se faire réparer ailleurs, doit aussi être mis en ligne de compte ainsi que les risques de mer pour l’équipage et pour la cargaison sur un navire endommagé.

La colonie, par cette belle entreprise, sera élevée au rang des points capitaux du monde maritime, et, si elle ne peut offrir aux navires un refuge assuré, pendant les tempêtes, elle leur présentera au moins des moyens efficaces de réparer leurs avaries. »

Le Gouvernement local leur vint en aide, mais leur imposa la construction d’un bagne pour abriter la main d’oeuvre pénitentiaire, lequel aurait été jugé « de construction convenable » par le Gouverneur Sarda Garriga.

Cent forçats furent mis à leur disposition, ainsi que de la poudre à mine et le charbon nécessaire aux travaux. Ces derniers furent néanmoins entravés par les « effets de la révolution. (Hodoul faisait allusion aux troubles que connaissait la métropole à cette époque)

Ils cessèrent et reprirent différentes fois, selon qu’on nous donnait ou que l’on nous retirait nos forçats, suivant les nouvelles reçues de la Métropole. Mais manquant de moyen d’exécution, en fait de machines, pour extraire et transporter les gros blocs et pour épuiser les infiltrations qui nous débordaient, notre travail s’est résumé à abattre quarante pieds de montagne de basalte en obtenant trois mètres au dessous du niveau de la mer, là où existait cette montagne, sur une largeur de 20 mètres formant le canal qui avait déjà près de 180 mètres de long ».

 

 

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Photo Henri Maurel

François Fortuné Crémasy avait succombé le 22 Août 1853, pendant les travaux, « à une fatigue du travail » sur les lieux mêmes du site du Cap La Houssaye, laissant Hodoul avec des difficultés financières telles que ce dernier dut se résoudre à abandonner les travaux.

Hodoul précise que « …Il survint ensuite des opinions d’ingénieurs tendant à faire un port de refuge, puis un grand port pour contenir des navires de guerre ; on procèda au calcul des déblais à faire pour arriver à un devis fabuleux du prix de revient, d’où il s’en suivit que les actionnaires, découragés par l’énormité des dépenses à faire, cessèrent de fournir des fonds pour cette entreprise si exécutable cependant.

Quelques notables de St Paul intervinrent en vain auprès des autorités pour que les travaux fussent menés à bien. Hodoul dût donc se résigner et, faute de moyens, se livrer aux « réparations de navires et à la construction de bateaux, dans la baie de St Paul », de sorte qu’il se procura « les moyens de vivre honorablement et sans avoir recours à personne », jusqu’à son départ pour Maurice qui eut lieu le 6 Juin 1857 sur le Vapeur « Le Mascareigne« .

Le récit de cette aventure est inspiré de quelques écrits laissés par Raymond Hodoul, que nous ne pouvons intégralement publier ici. Devant le manque de documents officiels étayant ses dires, les recherches entreprises aux archives Départementales de la Réunion s’étant avérées vaines, nous ne pouvons que nous reporter à ses affirmations. Elles sont d’ailleurs confirmées un tant soit peu par un article paru dans le « Quotidien Du Samedi » du 12 octobre 1991, relatant le bulletin Municipal de Saint Paul « Vivre à St Paul » (2).

Il écrivit selon ses propres propos, « pour lui même et pour ses enfants ». La vie ne fut pas tendre avec lui, mais il prouva, par ailleurs, qu’il n’était point un fabulateur, ni un menteur, les autres épisodes de ses mémoires se sont avérées exactes.

Raymond Hodoul, s’éteignit le 29 juillet 1865 des suites d’un cancer de la gorge, sur la propriété de son beau-frère, Marie François Antoine Maurel, à Mapou, Ile Maurice. La tradition orale de la famille le décrit comme un homme « Grand, sec, bronzé, nerveux, fumant du matin jusqu’au soir, et parlant lentement comme les Seychellois. « 

L’article du bulletin Municipal « Vivre à St Paul » dont le Quotidien du Samedi du 12 octobre se fait l’écho, relate que le « …Chantier occupa l’embouchure d’une ravine qui porte depuis le nom, peu connu de nos jours, de Patent Slip ».

Raymond Hodoul, François Fortuné Crémasy et leurs bagnards, laissèrent leur empreinte encore visible au Cap La Houssaye : Le chenal creusé à l’embouchure de la Ravine Patent Slip, dont les pointes « Barre à Mine », « Milieu » et « Finition » demeurent manifestement les témoins silencieux des durs travaux qui s’y déroulèrent.

La quiètude du Cap la Houssaye avance le « Quotidien du Samedi », fut troublée par l’industrie des hommes. Il est certain que Crémasy et Hodoul utilisèrent allègrement la « poudre à mine » nécessaire à l’abattage de cette « montagne de 40 pieds de haut » et au creusement de ce canal de 180 mêtres de long, à l’embouchure même de la ravine nommée pour la circonstance « Patent Slip ». Il causèrent certes des désagréments aux proches habitants de Saint Paul, mais faut-il en vouloir à la volonté de ceux qui, avec des modestes moyens, du courage, et beaucoup de sueur, essayèrent de mettre en oeuvre un projet cependant réalisable.

Hodoul l’enfant des Seychelles, descendant des premiers colons de Bourbon, réussit quant à lui, à introduire au pays de ses ancêtres un fameux anglicisme : Le Patent Slip.

-ooOoo-

Sources:

(1) Monsieur Mabily, Archives de La Ciotat.

(2) Documents aimablement communiqués par Madame Hélène Thazard.

(3) Shaun et Patricia Mitchell, Coorparoo, Australie

(4) Isidore Lolliot, Revue Pittoresque de l’Ile Maurice, MDCCXLII,

extraits aimablement communiqués par Shaun et Patricia Mitchell, Coorparoo, Australie.

 

Raymond Hodoul,  » Notes, Souvenirs ».

Famille Bruneau, Ste Marie, Ile de la Réunion.

Monsieur Jean Paul Louvart de Pontlevoye.

Croquis extrait de cartes de l’Institut Géographique National (I.G.N.).

 


Notes : Toutes personnes pouvant me communiquer des renseignements complémentaires sur cette aventure, notamment ceux ayant trait au bagne dont parle Hodoul, peuvent éventuellement me contacter

 

Henri Maurel

jabelou@gmail.com

06 270 Villeneuve Loubet

 

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I.G.N.

LA RAVINE PATENT SLIP AU CAP LA HOUSSAYE

(Suite et Fin)

Nous avions appris l’origine du nom de cette petite ravine dans le Bulletin 54 de décembre 1996 mais, ne pouvant nous appuyer sur une documentation existante, nous nous étions entièrement basés sur les écrits laissés par Raymond Hodoul. Les preuves manquaient. Par méconnaissance de la région, nous avions situé le « chenal », qui menait à la cale de halage, dans le prolongement de l’embouchure de la ravine, c’est à dire, entre la Pointe Barre à Mine et la Pointe Milieu. L’étude des photos prises par nos amis et de la carte touristique nous incitaient fortement à le supposer.

Ne nous contentant pas de cette hypothèse, et pour des raisons évidentes de parfaire notre étude, nous avons demandé à l’I.G.N. la plus ancienne photo aérienne du Cap La Houssaye. Nous voulions, à l’aide de ce document, observer la région avec plus de précision. Un détail géographique nous interpella : Que représentaient ce « trou d’eau » appelé « Trou du cuisinier », ainsi que ces gros cailloux le comblant partiellement?

Nous promettant de visiter le site lors d’un prochain voyage à La réunion, nous avions décidé de laisser nos interrogations en suspens, lorsque nous reçûmes, quelques temps avant notre départ, une charmante lettre de Madame Thazard, notre Présidente. Elle avait la bonté de nous envoyer, sur indication de Monsieur Eric Venner, la photocopie d’une lithographie existant dans « l’Album de la Réunion ».

Cette lithographie de A. Roussin, s’inspirant d’un dessin de M. Varanget (?), intitulée « NAVIRE SE PRESENTANT AU PATENT-SLIP » créé à la Pointe La Houssaye par M.M. Crémazy et Hodoul », est présentée par un article de Ad de G, daté du 16 février 1858. Nous pouvons relever dans L’Album de la Réunion (1) page 64 :

 » Saint Paul a moins l’aspect d’une ville que d’un grand bourg. On est frappé, en y arrivant, du silence et de la solitude qui règnent dans les rues. L’absence de tout mouvement commercial ou industriel explique ce défaut de vie. Les habitants espèrent que la reprise des travaux du Patent-Slipp ou bassin de carénage commencés à la pointe la Houssaye et suspendus depuis deux années, la création d’un port à l’embouchure de l’étang, et le percement de la route-tunnel entre Saint Denis et La Possession, rendront à Saint Paul l’importance et l’activité commerciales que sa voisine et rivale attire à elle… »

L’auteur précise en bas de page: « La 7e livraison de L’Album contient un dessin du Patent-Slipp tel qu’il sera lors de son complet achèvement; on voit un navire se présenter à l’entrée du bassin. »

L’article et la lithographie ont leur importance : ils confirment les dires de Raymond Hodoul, et permettent de situer avec précision le fameux chenal.

Le dessin montre que le navire se présente dans l’axe du Patent-Slip en longeant la montagne sur bâbord. Cette indication est primordiale: Les navires se seraient présentés, non pas comme nous le pressentions dans le lit même de la ravine, mais perpendiculairement à celui-ci; Le « Trou du cuisinier » pourrait être, en fait, les vestiges du chenal « qui atteignait trois mètres sous le niveau de l’eau ».

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Album de la Réunion – A. ROUSSIN

On peut supposer que la rampe inclinée reproduite sur le dessin, devait se prolonger sous l’eau, permettant l’approche du navire et la mise en place de bers (2) pour soutenir la coque du navire tout au long de sa progression hors de l’eau. La pente semble abrupte, mais elle est nécessaire. En effet, les navires étaient halés sur la rampe à l’aide de cabestans. Elle permettait également la remise à l’eau des navires en utilisant leur propre force d’inertie. Le Dictionnaire de la marine à Voile (3) précise:

« Une cale dite de construction est un terrain en pente dont l’inclinaison est, en moyenne, d’un centimètre sur douze, et qui a été approprié pour la construction d’un bâtiment auquel elle sert de base ou de support pendant cette opération. Le bâtiment en est séparé par des tins sur lequel repose la quille. Ce terrain doit être préparé de manière à ne pouvoir s’affaisser sous son poids… Des cales à peu près semblables existent pour les navires qu’on y hale ou fait remonter sur des espèces de bers et à l’aide de cabestans afin de les réparer, et qui portent le nom de Cales de halage, de carène ou de radoub. Des rails en fer facilitent l’ascension ainsi que le retour à l’eau… »

Raymond Hodoul nous a laissé le plan de son projet de fabrication de Patent Slip à Sainte Rose. Il est indéniable qu’il affectait les sols rocheux, donc stables, pour la construction de ses ouvrages. Le choix du site du Cap La Houssaye s’explique donc.

En octobre 1997, nous nous sommes rendus sur place avec notre beau-frère Yvan, pour visiter et constater de visu les vestiges des travaux de Crémasy et Hodoul. Nous avons pu constater que « la montagne », à cet endroit, fait environ une dizaine de mètres de haut. L’espace entre cette montagne et le « chicot » de basalte, mesure près de 20 mètres de large environ. Le « trou du cuisinier » est partiellement comblé par de gros rochers. Il mesure, quant à lui, une centaine de mètres de long. La profondeur du trou, au niveau de la lèvre de basalte qui le sépare de la mer, semble assez conséquent et aurait pu atteindre trois mètres, au moment de l’abandon des travaux.

On se souvient que Hodoul disait: « … manquant de moyen d’exécution, en fait de machines, pour extraire et transporter les gros blocs et pour épuiser les infiltrations qui nous débordaient, notre travail s’est résumé à abattre quarante pieds de montagne de basalte en obtenant trois mètres au-dessous du niveau de la mer, là où existait cette montagne, sur une largeur de 20 mètres formant le canal qui avait déjà près de 180 mètres de long ».

Les gros rochers semblent n’avoir jamais quitté le lit du chenal. La lèvre de basalte qui sépare le « chenal » de la mer ne retenait pas « les infiltrations » ou plutôt le déferlement de l’eau dont se plaignait Hodoul. Cette séparation, pensons-nous, devait être « enlevée » à l’achèvement dudit chenal, et l’ouvrir entièrement sur la mer.

Plus de 150 ans après, en octobre 1997, deux descendants de Crémasy et Hodoul retournèrent sur les lieux. L’un, véloce, échappa à tous les pièges du relief et de la végétation. L’autre plus balourd, mais néanmoins nanti d’un formidable esprit d’explorateur, avait oublié les terribles dommages corporels et vestimentaires que pouvaient occasionner les épines de certaines plantes tropicales. La peau de ses bras et de ses jambes porte encore les stigmates d’un passage imprévu au travers d’un buisson d’acacia.

A notre départ du Cap la Houssaye, Yvan eut un dernier regard sur le tas de cailloux qui encombrent le site et dit, pince sans rire: « En tous cas, on peut dire qu’ils ont cassé beaucoup de cailloux pour rien ».

A l’Ile Maurice, nous avons retrouvé les quelques traces laissées par Hodoul. Notre ancêtre avait acheté, un petit chantier naval à un certain Monsieur Mouchet situé au bord du « Trou Fanfaron » (4), anse de la rade du Port Louis. Un document privé prétend que ce chantier naval se situait à l’endroit des « Dry Docks » actuels.

Raymond Hodoul fonda ensuite une société de construction et de réparation navale. Hodoul précise dans ses mémoires: « ...Je fis une société avec Monsieur G. de la Caylla. Nous louâmes la pointe Caudan (5) de Monsieur Chauvin et après de pénibles et infructueux travaux de construction et de réparations de navires, nous nous trouvâmes dans l’obligation de vendre notre matériel pour solder nos dettes. » C’était quelque temps avant qu’il aille casser du caillou à La Pointe La Houssaye…

Nous avons retrouvé la tombe de Raymond Hodoul dans le vieux cimetière des Pamplemousses, face au célèbre jardin botanique. Il repose auprès de sa femme, Marie Dorothée Emmée Maurel. Sur sa tombe il est inscrit :

« Ci Gît Raymond Hodoul

Capitaine de Marine et Architecte

naval, né aux Seychelles le 20 juin

1799, et décédé en cette île le 20

juillet 1865″

 

 

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Photo Henri Maurel

Sources:

Raymond Hodoul, « Notes, Souvenirs »

Archives Départementales de La Réunion

Archives de l’Ile Maurice

Institut Géographique National (I.G.N.)

Avec le précieux concours de :

Madame Hélène Thazard, Présidente du C.G.B.

Monsieur Eric Venner, « Confrérie des Gens de la Mer »

Monsieur Yves Louvart de Pontlevoye

Henri Maurel

jabelou@gmail.com

06 Villeneuve Loubet

  1. Archives Départementales de La Réunion, Ste-Clotilde.

  2. Le cadre servant à soutenir le navire est destiné à glisser le long du plan incliné de la cale, à entraîner le bâtiment avec lui lors de l’ascension ou de la remise à l’eau.

  3. Edition de la Fontaine du Roi, Paris. les auteurs en sont : Bonnefoux et Paris.

  4. Archives de Maurice, Répertoire des concessions LC 27/201

  5. La Pointe Caudan fait face au Trou Fanfaron et présente aujourd’hui un important complexe immobilier et touristique nommé pour la circonstance « Le Caudan ».

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Photo Henri Maurel

 

 

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